FADI RACONTE : GRAINES D’ESPOIR POUR MON LIBAN DÉVASTÉ

Giovanni Caccialanza25 octobre 2021

« Il n’y a pas d’essence, il n’y a pas de gaz, il n’y a pas de médicaments », raconte Fadi Bejan, collaborateur d’Association Pro Terra Sancta à Beyrouth. Au téléphone, il nous parle de la crise qui a frappé le Liban, son pays natal, et il retrace clairement ses causes et ses conséquences. 

Fadi, trente-sept ans, un passé d’employé dans le monde financier, est actif de cinq ans dans le monde du Troisième Secteur, et travaille avec Association Pro Terra Sancta du 4 août 2020, date de la terrible explosion du port de Beyrouth. Les images de l’événement sont dans ses yeux, dit-il, en décrivant la catastrophe que le Liban est en train de traverser, « mais cela a commencé à aller mal bien avant le 4 août 2020 ».

« Il y a exactement deux ans, le 17 octobre 2019, les gens sont descendus dans les rues pour protester contre un système corrompu », et depuis lors le pays a commencé à faire face à un déclin qui le bouleverse même aujourd’hui. Les protestations étaient le reflet de l’effondrement de plus en plus évident du système économique et social, et l’effondrement est devenu réalité dans le pays.

Au cours de ces deux années, la livre libanaise a perdu plus de 90% de sa valeur, plongeant dans la pauvreté les habitants de ce qu’on appelait « la Suisse du Moyen-Orient ». Fadi traduit en chiffres la crise de son pays et de sa ville : 400.000 personnes (10% de la population totale) ont quitté le Liban au cours des deux dernières années ; pour ceux qui restent, le taux de chômage est de 65% ; 77% des propriétaires n’ont pas un accès régulier à la nourriture. À Beyrouth, la mauvaise gestion du pays (peut-être de connivence avec des intérêts étrangers) a provoqué l’explosion dévastatrice du port l’année dernière. De l’enquête controversée sur la conflagration naissent les affrontements qui ont ensanglanté la capitale jeudi dernier, 14 octobre, entre les milices du Hezbollah et les Forces libanaises.

« Dans la ville de Beyrouth – continue Fadi – plus de 15% des enfants ont cessé d’aller à l’école, parce que leurs familles ne peuvent plus se permettre de faire face aux coûts de l’éducation. C’est pour ça qu’à Beyrouth, on paie les frais de scolarité des enfants pour les garder à l’école. En ce moment, nous assistons 82 familles, et nous sommes prêts à en aider 75 autres ». « Bien sûr, affirme Fadi, l’objectif est d’atteindre de nombreuses familles, de nombreuses personnes, pour les garder ici ». 

Mais, poursuit-il, « il n’y a pas d’espoir dans les rues. Il y a des familles dans le Nord du pays qui n’ont pas vu de médecin au cours des cinq dernières années ». Dans le district de Tripoli, le plus important de la région, on ne trouve pas de médicaments – comme dans tout le Liban – et les rares qui y sont coûtent trop cher.

C’est précisément pour réagir à la hausse dévastatrice des prix des produits d’hygiène et de santé que Fadi s’est engagé à ouvrir à Tripoli, avec ses six collègues au Liban, un dispensaire médical. « Il sera prêt dans dix jours, puis nous vous enverrons quelques photos. L’impact sera certainement bon, surtout du point de vue psychologique ». Oui, parce que c’est surtout la santé mentale et l’équilibre psychologique des gens qui font les frais de la situation dramatique que connaît le Liban depuis des années. « A Beyrouth, dans le quartier de Gemmayzeh, nous ouvrirons en quelques semaines un centre PSS (Support Psycho-Social) ». Il faut faire face à toutes sortes de besoins, « et donc un psychologue, des consultants, des experts en éducation seront présents dans le centre. On prendra en charge toutes les tranches d’âge, des plus petits, auxquels sont offerts des cours d’art-thérapie et de théâtre, aux plus âgés, qui auront à leur disposition, outre l’aide psychologique, des cours de cuisine ».

« La couche sociale la plus frappée », nous raconte Fadi, dans la capitale libanaise, « est celle qui varie de 30 à 40 ans : il s’agit de personnes qui ont tout perdu à cause de la crise économique, et psychologiquement elles sont très éprouvées ». Le nouveau centre PSS de Gemmayzeh est spécialement conçu pour elles : à une phase initiale de support matériel, avec distribution de médicaments, vêtements et nourriture même en vue d’un soutien aux familles, suit un parcours de réinsertion psychologique et sociale qui puisse les renforcer durablement. 

Le bilan est amer : « On ne vit pas ici une vie décente. Avant, le gouvernement subventionnait l’électricité ; maintenant que tout est en crise, il a cessé de le faire, et nous avons de la lumière pour deux heures par jour. Cela n’a même plus de sens de mettre la nourriture dans le frigo : qu’est-ce que cela change si, après deux heures, il n’y a plus d’électricité ?». Et Fadi ne fait pas non plus de concessions à la population libanaise : « Certes, on blâme les gouvernements, mais c’est nous qui avons permis qu’un système aussi maladroit continue pendant des années. Nous ne pouvons pas blâmer exclusivement la politique ».

Donc, est-ce qu’il pas d’espoir pour le Liban ? « Non, nous essayons de maintenir vivante une étincelle dans les projets de Pro Terra Sancta » : à Gemmayzeh, le quartier de Beyrouth où le centre PSS sera ouvert, un centre d’urgence, qui est important pour la vie et pour la santé des personnes, est déjà actif. « Il y a des personnes qui nous cherchent parce qu’elles ont construit des relations dans le centre. Il y a des gens qui continuent d’essayer de construire des relations. Ce sont nos graines que nous plantons dans ce pays dévasté ».