« À Bethléem, comme partout dans le monde, Jésus a le visage de celui qui souffre ». L’expérience de Nicoletta auprès des personnes âgées de Bethléem.

Giacomo Pizzi29 janvier 2014

Un récit rafraîchissant, entraînant, qui raconte les difficultés, mais aussi les joies vécues en trois semaines de vie dans la maison d’accueil pour personnes âgées de Bethléem. Voici le témoignage de Nicoletta, volontaire pour ATS pro Terra Sancta, à la fin de son expérience :

 

« À Noël je ne serai pas là, devine où je vais ? ». « Où ? » demande mon neveu. « Je vais là où Jésus est né, à Bethléem, en tant que volontaire dans une maison d’accueil (que j’appellerai ensuite tout simplement “maison”) pour dames en difficulté, parce qu’elles sont âgées, comme mamie, ou parce qu’elles ont des problèmes psychiques ou physiques ». « C’est où Bethléem ? ». « En Palestine », réponds-je. « C’est près de Jérusalem, d’où tu m’as rapporté le t-shirt avec les chameaux ? » demande encore mon neveu. « Oui, c’est à côté, même s’il y a un grand mur qui d’une certaine façon le rend très éloigné… ».  Les questions sont incessantes, mais il est difficile de satisfaire la curiosité des enfants sur les histoires des grands, que nous non plus nous ne comprenons pas toujours bien.

Quand j’arrive à la maison, passé le check-point, il fait déjà nuit, et je suis ébloui par les lumières d’une grande étoile installée sur la façade de l’église. Jamais une illumination en forme d’étoile ne m’est apparue si bien placée : Jésus est né et renaît à Bethléem, le 25 décembre, pour porter un message d’amour, de paix, d’espérance et de salut. À Bethléem, comme partout dans le monde, Jésus a le visage de celui qui souffre, de celui qui est seul, de celui qui est abandonné, tout comme beaucoup des femmes hébergées dans la maison.

Quand j’entre dans le couloir, je vois des dames, plus ou moins âgées, assises sur un fauteuil, qui somnolent ou regardent la télévision. Beaucoup ont une couverture en laine sur les épaules ou sur les jambes. À mon entrée, tous les yeux se posent sur moi. Je ne peux faire autrement que sourire ou faire bonjour avec la main… et je me dis que c’est vraiment dommage de ne pas connaître l’arabe ! Dès le jour suivant, je fais tout ce que je peux pour me rendre utile, avec précautions, car j’estime que le personnel ne doit en aucune manière être « privé » de ses fonctions à l’arrivée des volontaires. Je tente de me rapprocher, de connaître et de comprendre. On dirait qu’il n’y a pas entre elles de grandes discussions, elles ne parlent pas comme toutes les femmes, presque comme s’il n’y avait plus rien à se dire. Mais les gestes de solidarité et d’aide réciproque ne manquent pas : une dame en fauteuil roulant est transportée d’une pièce à l’autre par une autre qui est plus en forme, et la dame aveugle est toujours prise par la main par une compagne. Elle le sait parce que, à table, une fois le repas terminé, elle n’attend pas toujours que quelqu’un la prenne en main pour passer au salon, mais elle se lève, et quelqu’un se rapproche pour l’aider spontanément.  Jour après jour, chacune des dames de la maison se révèle être une source inépuisable de surprises. Les plus âgées me frappent par leur simplicité et leur affection : elles rendent la moindre politesse, comme d’être soutenues par le bras pour aller du réfectoire aux fauteuils du couloir, avec une gratitude infinie. Certaines ont pour moi une attitude plus maternelle, j’oserais dire protectrice, qui touche directement le cœur. Pour le peu que je réussis à offrir, j’ai une récompense faite de sourires doux, de regards bienveillants, de tendres embrassades. Avec les dames les plus jeunes, avec lesquelles j’arrive éventuellement à échanger quelques mots en anglais ou en français, je me sens en quelque sorte comme une sœur ou une amie. Il est cependant vrai que j’ai parfois l’impression que leur comportement est quelque peu « détaché » de la réalité, et la communication est difficile. Il y en a une, que je nourris à la cuillère pour le petit-déjeuner et le déjeuner, qui vit en revanche une réalité toute personnelle : elle est toujours attachée à une chaise pour d’évidentes raisons de sécurité, sinon elle irait se promener partout, attrapant au passage n’importe quel objet dans les chambres de ses compagnes.

Il y en a une autre qui vivait dans son monde, toujours alitée et devant être nourrie à la cuillère : Lidia, à qui je voudrais rendre hommage pour le calvaire par lequel elle a dû passer avant de mourir. La mort n’est pas envisagée comme chez nous, elle finit par faire partie du quotidien, parce qu’en Palestine, tout le monde n’a pas accès aux soins, et il faut avoir une autorisation pour pouvoir aller dans un hôpital à Jérusalem, de l’autre côté du mur. Il ne s’est pas passé un seul jour sans que j’entende parler du mur dans et en dehors de la maison. Il ne s’est pas passé un seul jour sans que je le voie au fond de la rue que je parcourais chaque jour pour aller à l’église de la Nativité. Je n’aurais jamais imaginé ce que signifie vivre dans une Bethléem entourée non pas de belles murailles, comme celles de la vieille ville de Jérusalem, mais d’un mur de béton armé haut de 8 mètres, avec fil barbelé, miradors, caméras et plus encore. Je mentionne le mur pour qu’il serve d’avertissement, dans ma vie, contre les divisions ; l’avoir « vécu », en quelque sorte, me permet de donner à mon neveu (et peut-être pas seulement à lui) quelques réponses de plus, contre toute forme de séparation.

En regard d’une expérience de volontariat aussi forte, je ne peux que remercier ATS pro Terra Sancta pour l’opportunité qu’elle m’a offerte et qu’elle offre à tous les volontaires en Terre sainte.  J’aurai toujours dans le cœur le souvenir des dames de la maison, de ceux qui y consacrent toute leur énergie et de tous les Palestiniens que j’ai connus, dont la patience et la douceur sont exemplaires.